L'ATELIER DU COMPOSITEUR

DE LA MUSIQUE POUR LES FILMS

Denis FARGEAT

 

Je mettrai ici l'accent sur une expérience personnelle de composition pour l'image ; il n'est pas question dans ces lignes d'exprimer une tradition ou des vérités universelles. Il s'agira plus de retracer mon cheminement.

 

Premier élément, un goût pour le cinéma, une fascination qui remonte à l'enfance pour les rapports entre musique et image. Puis un parcours de musicien , et en chemin la prise de conscience de la qualité de certains musiciens de films ; pour n'en citer qu'un , rappelons le cas d'Erich Wolfgang Korngold, éblouissant enfant prodige, musicien admiré dès ses seize ans par Gustav Mahler ou Bruno Walter, et qui se tourna vers le cinéma en considérant qu'il composait alors des « opéras
sans chant » ; il n'eut jamais à céder sur ses exigences musicales, et son influence fut telle qu'André Previn pouvait dire : « Ce n'est pas Korngold qui sonne Hollywoodien, c'est Hollywood qui sonne comme du Korngold! » Je fus ensuite amené à accompagner au piano des films muets, et c'est tout naturellement que je me mis à composer des musiques de films muets à l'intention de la Camerata Schubert.

En abordant ce (long) travail, je découvris très vite que j'avais à faire concilier deux logiques : celle du film, celle de la musique. En suivant servilement toutes les péripéties du film, je risquais de produire une musique dont le discontinu risquait de gêner la vision. Cette tendance de la musique, illustrée par Max Steiner notamment dans sa partition du « Mouchard » de John Ford, fut assez méchamment surnommée « Mickey mousing », tant le soulignement des
évènements par la musique était présent.  Je devais au contraire assurer une belle fluidité (non exempte de ruptures lorsqu'elles sont nécessaires) en ne m'interdisant pas une certaine complexité dans le tissu harmonique.

Il s'agit donc d'un vrai travail de composition ; la forme en est donnée par le film, il s'agit pour moi de trouver la musique cachée à l'intérieur de celui-ci. Cela fait songer à l'anecdote de l'enfant qui , après avoir longuement observé Rodin travaillant sur un bloc de marbre, lui déclara : « Comment savais-tu qu'il y avait un cheval dans la pierre ? » J'ai le même sentiment : j'essaye des choses avec l'image, en définitive il n'y a plus qu'une solution ; on procède par élimination, on retranche plus qu'on n'ajoute et en définitive le cheval apparaît comme une évidence, sans qu'on sache s'il est là par sa volonté ou par la nôtre.

Une anecdote, en résonnance : appelé par Brian de Palma à composer pour « Obsession » ce qui devait être une de ses dernières partitions, Bernard Herrmann, après avoir vu le film dans son pré-montage, le félicita chaleureusement pour la musique... qu'il avait donc été le seul à entendre, intérieurement ! Saura-t-on jamais dans quelle mesure ce qu'il a composé pour
ce film est identique à ce qu'il entendit ce jour-là?